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Le mythe des « digital natives » ou le décrochage numérique des étudiants français

La plateforme numérique qui témoigne du niveau numérique alarmant des étudiants français

17 décembre 2025


Ordinateurs portables dans les salles de classe, smartphones greffés à la main, plateformes en ligne devenues incontournables : les étudiants d’aujourd’hui sont souvent perçus comme des experts assez naturels du numérique. Récemment publiée, une enquête de l’Observatoire Pix des compétences numériques révèle une réalité bien plus nuancée, voire préoccupante : une part importante des étudiants français ne maîtrise pas les compétences numériques attendues à la fin de la licence. Ce constat, repris et analysé par Les Échos, alerte sur un véritable risque de décrochage numérique, aux conséquences académiques, professionnelles et citoyennes.

1. Une enquête nationale fondée sur les données de la plateforme

L’étude menée par l’Observatoire Pix des compétences numériques se distingue par sa méthodologie. Contrairement à de nombreuses enquêtes reposant sur des déclarations subjectives, celle-ci s’appuie sur les résultats réels de la certification Pix, qui évalue 16 compétences issues du Cadre de Référence des Compétences Numériques (CRCN).

Au total, 7 700 étudiants en licence ont été analysés, ayant passé la certification au cours de l’année universitaire 2024-2025. L’échantillon a été redressé statistiquement afin de refléter fidèlement la population étudiante française (discipline, année d’étude, genre, type de baccalauréat, statut de boursier). Le niveau de maîtrise est mesuré en points pix, unité de score allant jusqu’à 895 points lors de la certification.

Les seuils sont les suivants :

  • 384 pix correspondent au niveau attendu en fin de terminale ;
  • 448 pix constituent le niveau attendu en fin de licence ;
  • au-delà de 512 pix, l’étudiant atteint un niveau avancé.

2. Un niveau moyen insuffisant en premier cycle

Premier constat marquant : les étudiants de licence obtiennent en moyenne 432 pix, soit en dessous du seuil attendu en fin de premier cycle. Autrement dit, la majorité des étudiants n’atteint pas le niveau jugé nécessaire pour une insertion professionnelle satisfaisante ou une poursuite d’études en master.

Les chiffres sont particulièrement parlants :

  • 52 % des étudiants se situent sous le seuil des 448 pix ;
  • 2 % n’atteignent même pas le niveau « Novice », avec moins de 256 pix, soit le niveau attendu en fin de troisième ;
  • 27 % sont au niveau « Indépendant 1 » (256 à 383 pix), correspondant globalement au niveau lycée ;
  • seuls 22 % atteignent le seuil professionnel (448 à 511 pix) ;
  • 17 % seulement accèdent à un niveau avancé ou expert.

Ces données battent en brèche l’idée selon laquelle l’usage quotidien du numérique suffirait à en maîtriser les enjeux. Comme le souligne Benjamin Marteau, directeur de Pix, « le mythe des “digital natives” a vécu ».

3. Des difficultés persistantes tout au long de la licence

Un autre enseignement majeur de l’étude est la faible progression des compétences numériques au cours des années universitaires. En première année de licence, quatre étudiants sur dix n’atteignent pas le niveau attendu en fin de terminale. En troisième année, ils sont encore trois sur dix à rester en dessous de ce seuil.

Autrement dit, les retards initiaux ne se résorbent que partiellement. Pierre-Alain Müller, président de l’université de Haute-Alsace, juge ce phénomène « troublant » : les étudiants qui entrent à l’université avec des lacunes numériques tendent à les conserver tout au long de la licence.

Cette stagnation interroge le rôle de l’enseignement supérieur : si le numérique est omniprésent dans les pratiques pédagogiques (ENT, cours en ligne, travaux collaboratifs), il n’est pas toujours enseigné comme une compétence ou une matière structurée et progressive.

4. De fortes disparités selon les filières et le genre

L’étude Pix met également en lumière de fortes inégalités selon les disciplines. Les étudiants inscrits en santé obtiennent les meilleurs résultats : 59 % dépassent le seuil de 448 pix, un score que les auteurs relient à l’obligation de formation au numérique en santé mise en place depuis 2022.

À l’inverse, certaines filières apparaissent en grande difficulté. En STAPS, 37 % des étudiants restent en dessous du niveau attendu en fin de terminale. Même dans les filières scientifiques et d’ingénierie, souvent associées à une forte culture technologique, seuls 50 % des étudiants dépassent le seuil requis en fin de licence.

Les écarts sont également marqués selon le genre. 22 % des étudiants masculins atteignent un niveau avancé, contre 13 % des étudiantes. Les auteurs évoquent des usages différenciés du numérique hors du cadre scolaire, mais aussi le poids persistant des stéréotypes de genre dans les pratiques technologiques.

5. Cybersécurité, esprit critique et droit d’auteur : des lacunes préoccupantes

Au-delà des compétences techniques, l’étude pointe des faiblesses inquiétantes dans des domaines clés. En matière de cybersécurité, seuls 50 % des étudiants connaissent les bonnes pratiques à adopter en cas d’usurpation d’identité, et 10 % seulement savent identifier les différentes formes d’attaques (phishing, fraude au virement …).

Les lacunes sont tout aussi marquées concernant le droit d’auteur. Si deux tiers des étudiants savent définir ce qu’est un droit d’auteur, seuls 10 % sont capables d’identifier correctement la licence d’une image. À l’heure de l’essor des IA génératives et des risques de plagiat, ces chiffres soulèvent de véritables enjeux éthiques et juridiques.

L’enquête de l’Observatoire Pix et l’analyse proposée par Les Échos dressent un constat sans appel : la maîtrise du numérique ne va pas de soi, même pour une génération née avec Internet. En fin de licence, un étudiant sur deux ne dispose pas du socle de compétences attendu pour entrer sereinement dans le monde professionnel ou poursuivre ses études. Ce décrochage numérique, loin d’être marginal, révèle des inégalités persistantes selon les filières, le genre et les parcours antérieurs.

Face à ces résultats, un consensus semble émerger : le numérique ne peut plus être considéré comme une compétence acquise implicitement. Il doit devenir un objet de formation à part entière, structuré, évalué et accompagné tout au long du cursus universitaire. À défaut, le risque est grand de voir s’accentuer les fractures numériques, au détriment de l’insertion professionnelle, de l’esprit critique et de la citoyenneté numérique des futurs diplômés.

https://www.lesechos.fr/politique-societe/education/cet-etonnant-decrochage-numerique-qui-guette-les-etudiants-2204191