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Former à l’IA

pour ne pas la

subir

: l’appel des deux

rapports de

l'Education nationale

24 septembre 2025

L’IA continue à faire couler de l’encre : entre inquiétudes et émerveillements, que disent deux rapports récents de l’Education nationale ? Nous avons lu pour vous le rapport de IGÉSR de mai 2025 et celui des experts mandatés (dont François Taddei) de juin 2025. Le rapport se concentre sur les établissements scolaires (primaire et secondaire), tandis que le second, du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
(MENESR), traite de l'enseignement supérieur. Partageons les constats et recommandations de ces deux rapports (et notre avis critique aussi !).

1. État des lieux des usages : une adoption hétérogène et individuelle

Les deux rapports constatent que les usages restent encorelimités et dispersés : malgré un intérêt, cela reste fortement dépendant d'initiatives individuelles, que ce soit dans les écoles ou dans les établissements d'enseignement supérieur (EES). Bref, comme les professeurs le constate souvent, « le central est à la ramasse ».

  • Dans les établissements scolaires : les élèves se sont rapidement approprié l'IA, surtout les IA génératives comme ChatGPT, pour des usages variés : aide à la révision, remédiation ou soutien à la créativité. Voire pour faire leurs devoirs à leur place… Ces pratiques sont souvent cachées, peu encadrées et potentiellement porteuses d'inégalités. Les enseignants, eux, sont plus réservés, utilisant principalement l'IA pour des tâches hors de la classe (préparation de cours, aide administrative). Leur usage en classe reste peu développé. Quant à l'IA pour la gestion administrative, c’est anecdotique !
  • Dans l'enseignement supérieur : l'usage de l'IA est également hétérogène et majoritairement individuel. Les étudiants sont de grands utilisateurs (68% chaque semaine) et se considérant plus compétents que les enseignants. Cependant, cette perception pourrait relever d'une "illusion de compétence" faute de formation adéquate. L'outil dominant est aussi ChatGPT. L'usage à des fins pédagogiques par les enseignants reste modeste, tout comme dans les services administratifs, où un potentiel est toutefois identifié au-delà de la simple automatisation des tâches.

2. Formation : un besoin massif et urgent à tous les niveaux

Un constat majeur et unanime des deux rapports est le manque criant de formation, identifié comme le principal frein à une intégrationraisonnée de l'IA.

  • Pour les enseignants (scolaire et supérieur) : une demande forte pour des formations en présentiel et en établissement émerge, afin de dépasser les appréhensions initiales et de favoriser les échanges de pratiques. Les enseignants du supérieur se forment en grande partie seuls. La formation des futurs enseignants dans les INSPE est également un enjeu crucial.
  • Pour les élèves et étudiants : ils expriment un besoin clair d'être guidés et encadrés par leurs enseignants. Le rapport IGÉSR recommande la création d'un curriculum de formation à l'IA tout au long de la scolarité, alliant littératie pour tous et spécialisation pour certains. Le rapport sur le supérieur insiste sur la nécessité de former tous les étudiants à un usage raisonné, durable et éthique de l'IA, notamment via une sensibilisation généralisée et des formations adaptées à chaque discipline.
  • Pour les cadres et personnels administratifs : la formation des cadres (chefs d'établissement, inspecteurs) est jugée essentielle pour impulser et coordonner les initiatives au niveau local. Les personnels administratifs de l'enseignement supérieur sont également en demande d'accompagnement.

3. Opportunités et risques de l'IA en éducation

Les deux documents dressent une liste d'opportunités et derisques liés à l’IA ans l’éducation.

Les opportunités :

  • Personnalisation des apprentissages : c'est la plus-value la mieux identifiée, que ce soit par l'IA adaptative (exerciseurs) ou la création de contenus sur mesure pour tous les élèves, y compris ceux à besoins particuliers ;
  • Gain de temps pour les enseignants : l'IA peut agir comme un assistant pour les tâches à faible valeur ajoutée (mise en forme, création de quiz, résumés, tâches administratives), leur permettant de se concentrer sur l'essentiel ;
  • Renouvellement des pratiques pédagogiques : l'IA invite à repenser les modalités d'évaluation (plus d'oraux, évaluation de projet) et à évoluer d'un modèle de transmission descendante vers des approches favorisant l'engagement des étudiants ;
  • Amélioration des services aux étudiants : l'IA peut aider à l'orientation, réduire les biais et améliorer le suivi pour prévenir le décrochage.

Les risques :

  • Cognitifs et pédagogiques : le risque principal est celui de la "spoliation cognitive" ; cela revient à dire que les élèves délèguent leur réflexion à la machine, entraînant une baisse de l'esprit critique et de l'autonomie intellectuelle. Un autre risque est l'appauvrissement de la créativité si l'IA est utilisée pour produire plutôt que pour inspirer ;
  • Éthiques et juridiques : en premier lieu, porte ouverte sur la protection des données personnelles (RGPD), mais aussi le risque sur la fiabilité des informations, les biais des algorithmes et la propriété intellectuelle sont des préoccupations majeures ;
  • Renforcement des inégalités : comme pour toute innovation, les plus malins – et équipés – sauront tirer leur marrons du feu. Et les plus malins deviennent encore plus malins, pendant que les autres rament encore plus loin derrière. Alors, sans un déploiement équitable des outils et des formations, l'IA risque de creuser les inégalités sociales, scolaires et territoriales.

4. Recommandations en matière de pilotage et de gouvernance

Face à ces enjeux, les deux rapports – publiés par l’Education nationale – appellent à une stratégie nationale forte et coordonnée. (ndlr : il aurait été étonnant de ne pas arriver à cette conclusion dans ce contexte éditorial !). Reprenons le fil des recommandations pour la stratégie nationale :

  • Coordination des acteurs : la gouvernance de l'IA, jugée trop éparpillée, appelle à la création d'instances de coordination. Le rapport IGÉSR préconise des conseils de l'IA aux niveaux national et académique. Le rapport sur le supérieur va plus loin en proposant la création d'un Institut national « IA, éducation et société » pour piloter la recherche, la formation et l'adoption de l'IA pour l'ensemble du système éducatif ;
  • L'établissement comme échelon clé : le rôle de l'établissement scolaire doit être renforcé pour en faire un lieu privilégié de formation et de réflexion pédagogique collective. Dans le supérieur, l'IA doit être intégrée à la stratégie de chaque établissement (voire de chaque faculté ou équipe) ;
  • Mutualisation et communs numériques : pour éviter les doublons et réduire les inégalités, la mutualisation des ressources, des formations et des bonnes pratiques est essentielle. Cela passe par le financement de "communs numériques" et la création de plateformes de partage ;
  • Outils et modèle économique : la question des outils souverains et d'un modèle économique pérenne est cruciale. En attendant le déploiement d'outils souverains, il est recommandé de financer l'accès à des modèles d'IA existants, de préférence ouverts et frugaux, dans un cadre sécurisé pour les personnels et les étudiants.

En conclusion, ces deux rapports dressent un portrait similaire de l'arrivée de l'IA dans l'éducation : une technologie inégalement maîtrisée, porteuse de grandes promesses mais aussi de défis considérables. Ils convergent vers un appel urgent à l'action pour une formation massive, un pilotage national coordonné et une stratégie de mutualisation afin de garantir un déploiement de l'IA qui soit éthique, équitable et
véritablement au service d'une éducation plus juste et performante.

Notre avis sur les recommandations :

Nous pensons que l’échelon clé est effectivement au niveau de l’établissement. C'est même au niveau de l’équipe, que le changement arrive. Nous avons vécu des réussites de projet grâce à des équipes impliquées sur les sujets des enseignants, parce que ce sont des équipes d’enseignants !

Pour cela, la formation est un prérequis, nécessaire mais pas suffisant. Les établissements devront être dotés en temps d’enseignants pour mener des projets. De plus et de façon pragmatique, cela distribue aussi la prise de risque, et permettra – peut-être – d’éviter les projets pharaoniques couteux et sans résultat.

Enfin, le modèle économique... Celui préconisé reste consensuel, avec l’utilisation des communs. La première réaction est effectivement d'acquiéscer, pour éviter d'augmenter la dette et les coûts en favorisant la mutualisation des coûts.

Mais, pour aller jusqu’au bout et réussir la mobilisation individuelle des enseignants, n’ayons pas peur d’imaginer que les enseignants puissent faire fortune (si, si !) grâce à ce qu’ils proposent avec l’IA. L’enrichissement n’est pas le moteur des enseignants. Mais, nous avons vu trop souvent des enseignants, extrêmement investis, porter des innovations que l’Education nationale ne sait pas valoriser. Si l’IA permet d’améliorer l’enseignement d’une façon innovante, pourquoi ne pas récompenser les pionniers et inventeurs ?



Les deux rapports :

1. « IA ET ENSEIGNEMENT SUPERIEUR : FORMATION, STRUCTURATION ET APPROPRIATION PAR LA
SOCIETE », rapport de Frédéric Pascal, François Taddei, Marc de Falcoet Emilie-Pauline Gallié (juin 2025)

2. « L’intelligence artificielle dans les établissements scolaires », rapport , de l'Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), mai
2025