Les écoles primaires face au numérique : va-t-on surfer ou boire la tasse ? Par Isabelle FOURCHY
Les écoles primaires face au numérique : va-t-on surfer ou boire la tasse ? Par Isabelle FOURCHY
Chef d'établissement 1er degré - Ecole Normale Catholique - St Jean
Classe mobile, ENT, cloud PC, Drive, voilà tant de mots qui, il y a quinze ans à peine, ne faisaient pas partie du vocabulaire quotidien des enseignants. Il n’est pas si loin le temps où “moi, je n’avais pas Google, je cherchais les informations dans le Larousse pour faire mon exposé”. Et oui, le temps va vite, très vite. Trop vite ? Les technologies évoluant à une vitesse digne d’un TGV, il faut sans cesse s’adapter mais il est légitime en tant qu’enseignant de, parfois, se sentir dépassé. En effet, à peine habitués aux ENT que les professeurs se voient déjà enseigner le codage à leurs élèves de primaire tout en jonglant avec l’I.A et le fameux ChatGPT.
Mais alors, les écoles doivent-elles surfer sur la vague du numérique ? Où cela risque-t-il de faire boire la tasse à la jeune génération qui, campagne de sensibilisation à l’appui, est déjà surexposée aux écrans ?
Les compétences primordiales sont celles du “vivre-ensemble”
Le matériel informatique s’est fait une place au sein des classes au fil des ans
A l’école primaire, les enseignants doivent apprendre les compétences dites “fondamentales” aux enfants. Tout de suite, nous avons en tête la grammaire, l’orthographe, le calcul, l’Histoire de France …. mais en fait, après la maîtrise de la calculatrice pour les mathématiques, vient celle de l’ordinateur pour le quotidien !
Les innovations bousculent la tradition et les façons de faire mais force est de constater que le matériel informatique s’est fait une place au sein des classes au fil des ans. Raison pour laquelle, et afin d’éviter de creuser les écarts et d’amplifier la fracture numérique, le Gouvernement avait lancé le plan numérique dans les années 2000. C’est pourquoi, depuis, le corps enseignant se doit donc de rester à l'affût. Inutile de le nier, le développement de la compétence numérique pour les élèves est nécessaire - et obligatoire. Cependant, il est du ressort des enseignants de les accompagner dans cet apprentissage afin de leur permettre d’avoir un usage éclairé et raisonné de leur utilisation. Mais, cela ne se fait pas en un jour. Et oui, on ne plonge pas d’un coup dans le grand bain, au risque de se noyer.
La manipulation et l’échange oral restent primordiaux en maternelle
Accompagner les enfants, les guider pas à pas dans l'acquisition d’une compétence issue du programme de l’Education Nationale est un exercice qui prend du temps. Il est à noter que chaque compétence est découpée, morcelée, décortiquée par l’enseignant en de nombreux petits objectifs. Chaque cours dispensé permet aux enfants d’atteindre l’un de ces objectifs et ce n’est qu’une fois toute la séquence pédagogique menée, une fois tous les objectifs atteints, que l’élève peut, enfin, maîtriser la compétence.
Dans les petites classes, telles que les maternelles, le numérique est utilisé avec parcimonie car les compétences primordiales sont celles du “vivre-ensemble” et il est évident qu’être derrière un écran nuit à la relation sociale et au développement du langage. De ce fait, les enseignants privilégient la projection de photos et de courts extraits vidéos afin de susciter le débat, la prise de parole. Mais, “l’outil ordinateur” peut également être intéressant afin de faire travailler les élèves sur la reconnaissance visuelle des lettres majuscules grâce à l’utilisation du clavier et leur transformation, automatique, en lettres d’imprimerie. Néanmoins, la manipulation et l’échange oral restant primordiaux en maternelle, ce type d’utilisation reste exceptionnel.
Une plus grande autonomie est laissée aux élèves des classes élémentaires
Le numérique peut permettre la différenciation pédagogique
Dans les classes élémentaires, les élèves commencent à utiliser un logiciel spécifique nommé Lalilo. Chaque semaine, en petits groupes, les enseignantes de CE1 mettent entre les mains de leurs élèves un ordinateur portable pour leur faire travailler la lecture. Armés de leurs identifiants, les élèves se connectent et suivent un programme individualisé. Chacun réalise une série d’exercices et selon le nombre de bonnes réponses donné, le logiciel s’ajuste pour proposer un second exercice plus ou moins facile. De plus, à la fin de chaque série, l’enfant indique son avis sur le niveau de difficulté ressenti.
Ici, le numérique peut permettre la différenciation pédagogique dans une classe où le niveau de lecture est souvent hétérogène. Cet outil permet à l’enseignant de prendre de la hauteur et d’avoir un regard au plus juste sur le niveau de ses élèves, dans un domaine où il est difficile de prendre du temps pour écouter chacun à voix haute. D’exceptionnelle en maternelle, l’utilisation du numérique devient hebdomadaire mais ciblée sur une compétence particulière.
Par son côté ludique et le challenge, le numérique peut être source d’apprentissage
En CM1, les enseignantes utilisent le numérique de manière quotidienne afin de challenger leurs élèves sur le vocabulaire et de façon collective grâce à un site : Sutom. Sur le modèle du jeu télévisé Motus, la classe doit découvrir le mot du jour, en 6 essais maximum. Ce type d’outil numérique permet l’émulation, la mise en recherche et l’entraide. A côté de cela, les élèves du Cours Moyen utilisent Mathador, un jeu de calcul mental similaire au jeu “Des chiffres et des lettres”, bien connu des aficionados de France 3. Des nombres sont donnés, un résultat également. A l’élève de trouver quelle est la suite de calculs à réaliser pour retomber sur le résultat demandé.
Ici, c’est par le côté ludique et le challenge -car les épreuves sont chronométrées- que le numérique peut être source d’apprentissage. Néanmoins, une fois de plus, le temps d’exposition aux écrans est minime et donne lieu, pour Mathador par exemple, à un concours national ! Celui-ci a permis à nos élèves de gagner la “version plateau” du jeu, afin de pouvoir y jouer en classe et de manière collective.
Enfin, c’est en CM2 que le “celle dont on ne doit pas prononcer le nom” arrive : la recherche internet. En effet, nos élèves suivent des cours d’informatique dans le but d’acquérir la très large compétence “savoir évoluer dans un environnement numérique”. Néanmoins, une fois de plus, nos élèves ne sont pas poussés sans bouée dans le grand bain : les cours de pratique n’arrivent qu’une fois le “permis internet” validé.
S'assurer que l'élèves ont assimilé les règles de vigilance, de civilité et de responsabilité
Les enfants sont formés sur les bonnes et les mauvaises conduites à tenir
En effet, s’il est nécessaire d’apprendre à son enfant à regarder avant de traverser pour pouvoir lui laisser le droit de circuler en autonomie, il en va de même en matière de numérique. Avant de mettre un ordinateur entre les mains des élèves, nous nous assurons qu’il a assimilé les règles de vigilance, de civilité et de responsabilité ; il doit avoir “son permis”. Le permis internet est un programme proposé par la gendarmerie nationale et qui s’étale sur plusieurs semaines. Les enfants sont formés sur les bonnes et les mauvaises conduites à tenir (usurpation d’identité, cyber-harcèlement, contenu adapté, fake news, etc). Une fois toutes les séances menées avec leurs enseignantes, un examen chronométré est mis en place, en classe, par les gardiens de la Paix de l’unité de Mission de Prévention de Contact et d'Écoute. A la manière du code de la route, les enfants doivent répondre à un QCM. Les copies sont corrigées par les gendarmes eux-mêmes et ce n’est qu’une fois seulement leur permis en poche que nos élèves commencent leurs cours de pratique, autour du mois de décembre. Il leur est enfin possible de plonger dans le monde numérique en toute sécurité !
Là encore, l’école primaire enseigne “les fondamentaux” de manière graduée
C’est avec un professeur spécifique -et par groupe de 8- que les enfants sont guidés dans la manipulation. Un petit effectif permet une vigilance accrue de chacun mais également un support efficace en cas de difficulté. Après dix heures de cours, chacun sait effectuer une recherche, sélectionner les informations pertinentes et les écrire sur un document word. Celui-ci sera par la suite enregistré sur clé USB ou sur un drive. L’étape suivante consiste à savoir trouver des images et les incorporer au texte qui, lui, sera envoyé par mail à un camarade, qui l’imprimera. Là encore, l’école primaire leur a enseigné “les fondamentaux” de manière graduée.
Conclusion
Si je dois résumer l’usage du numérique au sein de mon établissement, je peux affirmer qu’il n’est qu’un outil au service de la pédagogie et qu’il est étroitement lié à une responsabilité individuelle et citoyenne. Il n’y a donc pas à en avoir peur ; car il est -et sera toujours- utilisé de façon progressive et réfléchie non seulement par les enfants, mais également par leurs enseignants.
De même, il est clair que les outils numériques offrent aux équipes pédagogiques un éventail de possibilités qui leur permet de donner libre cours à leur créativité tout en offrant aux élèves une approche ludique et vivante. Mais je dois avouer que c’est également parce que j’ai la chance d’avoir une équipe dynamique et qui a à cœur d'éduquer les enfants avec bienveillance que cela peut fonctionner. Les enfants restent le cœur de notre métier et il est de notre devoir que de pouvoir leur offrir les meilleures bases possibles afin qu’ils puissent s’épanouir dans le monde de demain en utilisant le numérique en toute sécurité. Après tout, pourquoi est-il si tentant de désobéir lorsque l’on vous dit non ?
Il est évident que si nous nous entêtons à éloigner les élèves de l’univers du numérique, ils trouveront un moyen pour y accéder. Il est de ce fait nécessaire d’anticiper, de les former, de leur apprendre les bases pour éviter tout risque de noyade, par manque de surveillance.